Donuts en France : décryptage d’un marché en hypercroissance
Dopé par la franchise et les réseaux sociaux, le donut s’impose en France comme la nouvelle star du snacking sucré. Marché en plein essor, nouvelles enseignes, stratégie des géants… décryptage d’un phénomène qui ne fait que commencer.
Benjamin Thomas, writer
Publié le 31/07/2025 , Mis à jour le 01/08/2025, Temps de lecture: 12 min
En quelques mois, le donut s’est imposé comme la nouvelle coqueluche du snacking sucré en France. Plus qu'une simple tendance culinaire, l'émergence de cette pâtisserie américaine sur le sol français, longtemps bastion imprenable de la viennoiserie traditionnelle, s'apparente à un véritable phénomène culturel et économique. Parce que le donut ne séduit pas seulement par son goût, mais par tout ce qu’il incarne.
Anatomie du marché français du donut
Un marché en hyper-croissance
Qui aurait parié, il y a encore cinq ans, sur le succès du donut en France ? Selon Sirha Food, le marché français du donut représentait près de 30 millions d’euros en 2023. Porté par un taux de croissance annuel estimé à 15%, il devrait avoisiner les 40 millions d’euros en 2025. Une croissance à deux chiffres qui en dit long sur l’appétit des Français pour ce produit venu d’ailleurs.
On est ici face à un marché jeune, encore en phase de démarrage, mais qui montre déjà des signes de structuration rapide. L’offre se multiplie, les concepts s’affinent et les volumes explosent : selon une étude du cabinet FMCG Gurus de juin 2023, quelque 300 000 donuts seraient consommés chaque jour dans l’Hexagone. Un chiffre spectaculaire pour un produit encore quasi inexistant sur le territoire il y a peu.
Entre burgers et sandwiches, le donut fait son trou
Avec ses 30 à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires estimés en 2025, le donut ne représente toutefois qu'une toute petite fraction du marché franaçais du snacking. À titre de comparaison, le marché global du snacking en France frôle les 22,3 milliards d’euros, et la restauration rapide seule pèse à elle seule 15,6 milliards – dont 8,8 milliards rien que pour les burgers.
Mais c’est justement dans cet univers dominé par quelques catégories bien établies que le donut tire son épingle du jeu. Il ne vient pas nécessairement cannibaliser les ventes des produits existants comme le burger ou le sandwich, mais il crée de nouvelles occasions de consommation (la pause de l'après-midi, le partage au bureau, le dessert après un repas rapide) et capte de nouvelles dépenses.
Autrement dit, même si sa part de marché reste modeste, sa capacité à capter ne serait-ce qu'un faible pourcentage des sommes dépensées dans les catégories reines comme le burger lui confère un potentiel de développement immense. D’autant que les habitudes continuent d’évoluer vers des formats de restauration toujours plus pratiques et abordables : en cinq ans (de 2019 à 2024), la part de marché de la restauration rapide est passée de 71% à 75%. Un terrain fertile pour les concepts malins… et sucrés.
La France, un terrain encore à explorer
Pour prendre la mesure du phénomène, il convient de se pencher sur les chiffres à l'échelle mondiale. Selon les études, le marché mondial du donut pèserait entre 11 et 19 milliards de dollars, avec une croissance annuelle prévue entre 3,5% et 5,4% d’ici 2032. En France, cette dynamique prend une tout autre ampleur.
Comme évoqué précédemment, les projections de croissance annuelle pour la France sont de 15%, soit trois à quatre fois supérieures aux prévisions mondiales. Cet écart frappant n'indique pas que la France est une exception culturelle, mais plutôt qu'elle se trouve dans une phase de "rattrapage" accéléré.
En d’autres termes, contrairement à des marchés plus matures comme l'Amérique du Nord, qui représente une part majeure du marché mondial, la France est un territoire au potentiel encore largement inexploité. Pour les investisseurs, c’est le moment ou jamais.
La franchise comme moteur de croissance
L'expansion rapide du marché du donut en France est indissociable du modèle de la franchise qui est particulièrement adapté aux concepts de restauration rapide et mono-produit comme les boutiques de donuts. Pourquoi ? Parce qu’il combine vitesse d’implantation et cohérence de marque. Grâce à des entrepreneurs locaux, les réseaux peuvent ouvrir des boutiques aux quatre coins du pays sans mobiliser des capitaux colossaux.
Là où l’ouverture de points de vente en propre prendrait des années, la franchise permet de mailler la France en un temps record. Pour les enseignes de donuts, c’est donc l'outil stratégique par excellence pour conquérir des parts de marché avant que celui-ci n'arrive à saturation. Dans un marché encore jeune, chaque mois compte pour s’imposer avant que la concurrence ne se durcisse.
Les franchises qui recrutent dans le même secteur
Pourquoi on craque pour les donuts : les ressorts d’un succès
Si les chiffres du marché sont impressionnants, ils ne suffisent pas à expliquer l’ascension fulgurante du donut. Pour comprendre le phénomène, il faut plonger dans la tête des consommateurs — en particulier les plus jeunes — et décrypter les ressorts émotionnels, culturels et sociaux qui nourrissent cet engouement.
L'effet génération Z : moteur de la croissance
Les données démographiques sont sans appel : c’est chez les 18-25 ans (la Génération Z) que le donut cartonne le plus. D’après une étude du cabinet Strateg’eat, 24% des jeunes interrogés le citent parmi leurs douceurs sucrées préférées — devant des pâtisseries françaises traditionnelles comme les flans ou les éclairs au chocolat.
Mais surtout, il ne s’agit pas seulement d’un effet de mode. En l’espace de trois ans – entre 2021 et 2024, la consommation quotidienne de donuts en France est passée de 5% à 14%. Cette statistique particulièrement frappante montre que le produit s’est durablement installé dans les habitudes. Le donut n’est plus un plaisir occasionnel : il devient, pour certains, un petit rituel. Et ça change tout.
Le phénomène "food porn" : quand le donut devient viral
L'une des clés fondamentales du succès du donut réside dans son extraordinaire potentiel visuel. Rond, coloré, personnalisable à l'infini avec des glaçages brillants et des nappages variés, le donut est un produit hautement Instagrammable. Cette caractéristique, loin d'être anecdotique, a une incidence directe et majeure sur sa diffusion et sa consommation. Des enseignes comme Dreams Donuts ont d'ailleurs bâti l'intégralité de leur concept autour de cette dimension, en créant des boutiques conçues pour être des décors parfaits pour les réseaux sociaux.
Chaque publication sur Instagram, TikTok ou autres plateformes devient une publicité gratuite et organique, une forme de preuve sociale qui incite d'autres consommateurs à vouloir vivre la même expérience. Le produit devient son propre média. C’est là l’une des forces les plus redoutables du donut : il se consomme autant avec les yeux qu’avec la bouche.
Un plaisir assumé à l’heure du « manger sain »
À première vue, le succès du donut pourrait surprendre. Comment expliquer l’essor d’un produit aussi sucré et riche dans une époque obsédée par le bien-être, le sport et l’équilibre alimentaire ? Justement… c’est là que réside toute la subtilité du phénomène.
Le donut ne cherche pas à se donner des airs de produit sain. Au contraire, il assume pleinement son côté gourmand et régressif. Et c’est peut-être ce qui plaît le plus : dans un monde saturé de règles nutritionnelles et de « sans sucre », il offre une échappatoire, un moment de plaisir délibéré. À petit prix, avec un fort impact visuel et un goût réconfortant, il incarne une forme de transgression douce, consciente et assumée. Ce positionnement clair, honnête, décomplexé, en fait un produit parfaitement aligné avec l’envie de lâcher prise – de temps en temps.
La guerre des donuts : tour d’horizon des acteurs en présence
Le succès du donut en France n’est pas passé inaperçu. En quelques mois, le marché a vu débarquer des géants internationaux bien décidés à s’y tailler une part… et à faire bouger les lignes. Face à eux, des acteurs locaux déjà bien installés. Résultat : une bataille à plusieurs vitesses vient de s’ouvrir.
Les géants internationaux
L'implantation quasi simultanée de Krispy Kreme et Dunkin' marque un tournant décisif sur le marché français du donut. Les deux géants américains s’appuient sur deux mastodontes européens de la restauration rapide, Wagram Food Service et QSRP, pour orchestrer leur déploiement sur le vieux continent. Ces groupes apportent le capital, l'expertise opérationnelle, le réseau immobilier et la puissance logistique indispensables à une conquête rapide et à grande échelle du marché.
Krispy Kreme : La "Joy Economy" et la stratégie omnicanal
Ce qui distingue Krispy Kreme, c’est son positionnement, non pas de simple vendeur de pâtisseries, mais de créateur d'expériences. Arrivée en France en 2023, Krispy Kreme n’a pas fait les choses à moitié. L’enseigne américaine a ouvert un flagship spectaculaire en plein cœur de Paris, au Westfield Forum des Halles.
Et les résultats de sa première année sur le marché français sont éloquents : en seulement douze mois, la marque a enregistré 1 million de passages en caisse, vendu 5 millions de donuts et généré un chiffre d'affaires d'environ 12 millions d'euros à travers 15 points de vente en Île-de-France. Derrière cette offensive, une joint-venture stratégique avec Wagram Food Service, propriétaire de Columbus Café & Co, qui lui apporte un réseau solide, une logistique bien huilée et une fine connaissance du marché français. L’objectif est clair : atteindre 500 points de vente en cinq ans, via un modèle omnicanal mêlant boutiques, kiosques, livraison et grande distribution. Un rouleau compresseur bien lancé.
Dunkin' : la puissance du café et la conquête par la proximité
De son côté, Dunkin’ avance avec une stratégie bien différente. Contrairement à son rival Krispy Kreme, la marque américaine ne mise pas tout sur le donut. Son ADN, c’est la boisson, et plus particulièrement le café. Le donut y tient une place essentielle, bien sûr, mais en tant qu’accompagnement sucré au sein d'une offre plus large qui inclut des sandwichs, des pâtisseries, et surtout, une vaste gamme de boissons chaudes et froides.
Pour sa conquête de la France, Dunkin' a signé un accord de master franchise avec QSRP (Quick Service Restaurant Platform), qui gère plus de 1 200 restaurants sous des enseignes comme Burger King et O'Tacos. Tout comme Krispy Kreme avec Wagram Food Service, ce partenariat confère à Dunkin' une capacité de déploiement massive et une expertise opérationnelle de premier plan.
Dunkin’ a choisi d’ouvrir ses premières adresses à Paris au printemps 2025, notamment boulevard Montmartre et à la gare Saint-Lazare. Ces points de vente inaugurent un tout nouveau concept architectural, baptisé « Recharge » : un décor lumineux, coloré, pensé pour accueillir les clients à toute heure de la journée, entre deux réunions ou au détour d’un trajet. Son slogan — Recharge your day — résume parfaitement cette approche : du bon, du pratique, du rapide, servi avec une image moderne et énergique. Une vision très américaine du snacking, parfaitement adaptée aux nouveaux modes de vie urbains français.
La résistance franco-européenne
Avant même l’arrivée fracassante ces deux mastodontes américains, des enseignes locales et européennes avaient déjà balisé le terrain. Certaines se sont imposées comme pionnières, d’autres comme challengers agiles. Ensemble, elles incarnent une résistance bien réelle et structurée à la domination venue d’outre-Atlantique.
Dreams Donuts : personnalisation et expérience Instagrammable
Lancée en Belgique, Dreams Donuts a été la première enseigne à miser massivement sur le marché français… avec un flair remarquable. Son concept repose sur deux puissants leviers : la personnalisation totale des donuts (le client choisit son nappage, sa garniture et ses toppings) et une expérience ultra-visuelle, pensée pour les réseaux sociaux avec des boutiques aux couleurs vives et à la décoration féerique.
Cette stratégie a permis à la marque de connaître une croissance fulgurante. En 2023, le réseau comptait 56 points de vente en France pour 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, il dépasse les 110 unités (France et Belgique), ce qui en fait le leader en nombre de points de vente.
C'est Mon Donuts et Donuts & Donuts : les outsiders made in France
Du côté franco-français, C’est Mon Donuts s’est rapidement fait un nom. Né en 2020 dans une dark kitchen, le concept s’est imposé grâce à un positionnement premium et une stratégie digitale agressive. Forte de sa communauté de plus de 210 000 abonnés, l’enseigne séduit une clientèle jeune, connectée… et de plus en plus fidèle.
Autre acteur à suivre : Donuts & Donuts cultive une image de boutique premium et cozy, privilégiant des emplacements de premier choix pour offrir une expérience gourmande et chaleureuse. Avec 10 boutiques et 3,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, l’enseigne se fait progressivement une place sur ce marché très concurrentiel.
L'avant-garde artisanale : la "gourmetisation" du donut
En marge des réseaux franchisés, une nouvelle vague artisanale s’installe, notamment à Paris. Des adresses comme Boneshaker — pionnier du donut artisanal dans la capitale — proposent une lecture plus pâtissière du produit, mêlant savoir-faire français et recettes américaines. Aujourd’hui 100% végan, la boutique attire une clientèle curieuse et exigeante.
D'autres, comme Momzi, poussent le concept encore plus loin en proposant des donuts gastronomiques, utilisant des ingrédients nobles et des cuissons alternatives comme l'huile de coco.
L'existence de cette offre haut de gamme crée un effet de halo qui légitime le donut. En l'élevant du statut de simple snack sucré à celui de véritable pâtisserie, ces artisans donnent aux consommateurs grand public la "permission" de s'y intéresser et d'y prendre plaisir. Cela élargit l'attrait du marché, au-delà de la clientèle traditionnelle du fast-food, et attire des consommateurs plus exigeants, ce qui, à terme, profite à tous les acteurs du secteur.
Et maintenant ? Ce qui attend le marché du donut en France
Avec une croissance annuelle de 15%, le marché du donut en France est en pleine effervescence. Mais cette dynamique effrénée n'est pas soutenable à long terme. Alors que les ouvertures se multiplient, que les marques s’installent et que la concurrence s’intensifie, le secteur devrait rapidement entrer dans une nouvelle phase, plus mature, plus stratégique.
Un marché en pleine ébullition, mais pas sans limites
À mesure que le marché va murir, son évolution devrait suivre trois axes principaux :
- Saturation : La multiplication rapide des points de vente, principalement via la franchise, va inévitablement conduire à une intensification de la concurrence directe. Les grandes agglomérations pourraient atteindre un point de saturation d'ici 3 à 5 ans, rendant la différenciation encore plus cruciale.
- Montée en gamme : l’heure est à la sophistication. Les concepts mono-produit vont devoir enrichir leur offre. On peut s'attendre à voir apparaître des saveurs plus complexes, des ingrédients d'origine contrôlée et des collaborations avec des chefs, suivant le modèle de la "premiumisation" déjà observé sur le marché du burger.
- Diversification : pour augmenter la fréquence des visites et le panier moyen, les enseignes devront élargir leur carte. Boissons, café, encas salés… Le modèle de Dunkin’ montre la voie. Les autres acteurs, plus centrés sur le donut, devront impérativement renforcer leur offre de café, de boissons et potentiellement de produits salés pour ne pas dépendre d'un seul moment de consommation.
Les clés pour durer dans la course
Dans cet environnement de plus en plus compétitif, la réussite à long terme repose sur la maîtrise de quatre piliers fondamentaux :
- Maîtrise de la chaine d'approvisionnement : La capacité à produire et à livrer quotidiennement un produit frais à grande échelle est un avantage concurrentiel décisif.
- Le marketing digital : Gagner la "guerre du food porn" sur les réseaux sociaux et construire une communauté en ligne fidèle, à l'image de ce que C'est Mon Donuts a initié, n’est plus une option mais une nécessité.
- Innovation produit : Le renouvellement constant des saveurs, les éditions limitées, les offres saisonnières et d'éventuelles adaptations aux goûts locaux sont indispensables pour maintenir l'intérêt des consommateurs.
- Excellence opérationnelle : Dans un marché dominé par la franchise, la qualité de l'accompagnement, de la formation et des systèmes opérationnels fournis aux franchisés est le véritable garant de la pérennité et de la rentabilité du réseau.
Les franchises qui recrutent dans le même secteur
Benjamin Thomas, writer