Pourquoi faire appel à l’Intervention Sociologique dans les Réseaux de Distribution ?
Publié le 25/10/2011 , Mis à jour le 10/08/2020, Temps de lecture: 6 min
Avant toute chose, il convient de se demander quand une situation nécessite une intervention sociologique. Selon la pensée d’Alain Touraine la réponse pourrait être : « à chaque fois que l’on souhaite accroître la réflexivité des acteurs et les aider à mieux s’organiser ».
Pour une compréhension optimale, nous allons expliciter dans le détail le processus de réalisation d’une telle démarche, en partant de l’exemple d’une étude organisationnelle d’un réseau de franchise dont l’activité principale est la prestation de services à domicile, commanditée par la Direction de la société exploitant ce même réseau .
Avant de poursuivre, il convient de « recontextualiser » la demande :
Après le départ anticipé de 2 franchisés sur un ensemble de 16, le non développement économique de plusieurs points de vente et une communication devenue complexe, malgré le recrutement d’un animateur de réseau, la Direction a souhaité faire appel à la sociologie afin de comprendre les raisons de ces dysfonctionnements.
Au cours de l’entretien initial avec le responsable, celui-ci nous a confié ses hypothèses, à savoir « les franchisés ne réussissent pas professionnellement car ils ne font pas le nécessaire sur le terrain ». Nous avons alors défini les axes de recherche de manière commune pour déterminer quels facteurs précis jouaient sur l’échec professionnel des franchisés.
Après avoir analysé les données quantitatives contenues dans le Document d’Information Précontractuel , remis à chaque franchisé avant la signature du contrat de franchise, nous nous sommes aperçus que les informations qui leur avaient été transmises étaient de source fiable et récente (INSEE, DGI, IGN…). Ainsi, les variables exogènes ne semblaient pas expliquer les difficultés. Nous avons alors écarté ces éléments pour recentrer l’intérêt sur les notions de réseau social et de facteurs plus internes aux franchisés. Nous nous sommes alors penchés sur l’étude des variables endogènes pour tenter de comprendre ce qui pouvait influer sur la réussite ou l’échec professionnel des entrepreneurs en franchise.
Nous avons émis plusieurs hypothèses : la formation et l’expérience professionnelle de l’individu joue sur ses capacités à créer et faire vivre une entreprise, la situation familiale peut être un frein au développement de l’activité économique, l’éloignement géographique vis-à-vis du franchiseur et les rapports entretenus avec lui ont une conséquence au niveau du déploiement de l’activité économique, etc.
1 Par souci du respect de l’anonymat de la société commanditaire, les noms, activité exercée et lieux ont été modifiés ou dissimulés.
2 Le Document d’Information Précontractuel (DIP) contient une étude nationale et locale du marché, destinée à distinguer les territoires où il existe un potentiel de développement économique.
Les hypothèses restaient donc à confirmer ou infirmer suite à l’analyse des entretiens effectués auprès des franchisés. Une fois le cadre méthodologique posé, nous avons pris contact pour la réalisation des entretiens semi-directifs. Nous avons alors appris le départ anticipé de 5 franchisés supplémentaires. Sur un ensemble de seize, il n’en restait plus que neuf.
Ce phénomène a été source de nombreux questionnements. Il s’agissait à présent non plus de savoir quelles variables étaient influentes en terme « d’échec professionnel des franchisés », mais de comprendre pourquoi les franchisés décidaient de mettre un terme à leur contrat de franchise. D’autant plus que nous avions observé un chiffre d’affaire élevé pour plusieurs d’entre eux. Leur départ ne pouvait donc plus renvoyer au motif de « non développement de l’activité économique ».
Avec l’accord de la Direction, nous avons convenu qu’il était nécessaire de nous mettre en relation avec les individus sortis volontairement du réseau de franchise pour comprendre les raisons ayant motivé un tel choix.
Mais le contact avec certains acteurs en conflit avec le franchiseur a été difficile à établir. Prenons un exemple précis : au cours d’un appel téléphonique visant à obtenir un rendez-vous pour effectuer une entrevue, la personne nous a indiqué qu’elle ne pouvait rien nous apprendre dans la mesure où elle était sortie du réseau et qu’il s’agissait d’une perte de temps pour les deux parties.
Insistant alors sur l’intérêt que nous portions à une meilleure compréhension de l’organisation du réseau, pour y apporter une amélioration et déterminer quels sont les besoins des franchisés, nous avons suscité son intérêt. Mais la personne a avoué ne pas être restée en bons termes avec le franchiseur et n’avoir aucun intérêt à participer à une étude dont il est le commanditaire. Elle a également déclaré avoir rencontré des difficultés financières et avoir du ressenti vis-à-vis du franchiseur qui n’avait pas su répondre à ses attentes. L’affect étant très prégnant dans ces propos, il s’est avéré nécessaire de changer l’angle d’approche.
Ainsi, nous avons décidé de mettre en avant l’intérêt de comprendre de quelle manière elle avait mis en œuvre et vécu sa création d’entreprise individuelle, à des fins de connaissance (faire bénéficier les autres de sa propre expérience). Les dernières réticences se sont envolées dès lors que nous avons garanti l’anonymat des réponses et la possibilité de ne pas répondre aux questions posant problème. L’entretien a pu avoir lieu au domicile de la personne et a duré près de 2h00. Nous avons pu obtenir des informations qui, par la suite, nous ont permis de comprendre les stratégies individuelles et redéfinir celles de l’entreprise.
Dans un tel cas de figure, la notion de sanction prend tout son sens. Les franchisés ayant quitté le réseau ont tous cessé de régler les redevances mensuelles au franchiseur, car ils estimaient ne pas avoir reçu l’équivalent de ce qu’ils avaient investit moralement et financièrement dans la franchise.
Aussi, trois mois après avoir débuté l’étude, nous nous apercevions que le réel problème ne se situait pas au niveau des actions des franchisés et du franchiseur, mais au niveau de l’organisation du réseau de franchise qui n’était pas adaptée aux besoins et attentes de chacun. Suite à nos constatations, l’enjeu de l’étude s’était modifié. La seule production de connaissances n’étant en effet plus la priorité, les propositions d’action sont devenues plus importantes que l’étude elle-même. C’est pourquoi la recherche s’est transformée en recherche-action, afin de trouver des solutions rapidement pour réorganiser la structure de manière efficiente.
Mais dans ce cas, comment amener le commanditaire à accepter l’idée que l’organisation actuelle de son entreprise n’est pas efficiente et non totalement en adéquation avec la définition de la franchise établie par les codes de déontologie ?
Il nous a paru important d’organiser rapidement une rencontre avec les membres de la Direction de l’entreprise exploitant le réseau de franchise afin de leur faire part de nos premiers résultats (organisation inadaptée). La surprise a été conséquente et après un temps de réflexion, nous avons à nouveau organisé une réunion de travail avec la Direction, dont l’objectif était de réfléchir autour de la notion de franchise, son organisation, les rôles de chacun, en fonction des besoins identifiés suite à l’analyse des entretiens.
Suite à cela, en accord avec la Direction, nous avons mis en place des temps de travail avec les partenaires en recrutement et autres, afin de réajuster les discours et représentations inhérentes au réseau . Notre intention étant d’améliorer la cohésion et d’harmoniser les relations interprofessionnelles.
Les objectifs de la mission ont été atteints : après avoir en grande partie suivi nos préconisations, la Direction a ajusté sa politique d’action et le développement du réseau a pu se poursuivre de manière plus qualitative…
Consultante responsable du département sociologie :
Lucie Freliger – Téléphone : 06.75.73.18.07 – Mail : infos@stdevelopments.net
Les compétences complémentaires ST DEVELOPMENTS :
- Recrutement et accompagnement de franchisés
- Architecture Réseau et Définition de la Stratégie de Développement global
- Engineering Point de Vente et Politique d’Implantation (niveau local)
- Juridique et Back office
- Cession, Acquisition, Financement du Développement (levée de fonds)
3 Lors de nos lectures exploratoires issues des documents transmis par la direction de l’entreprise, nous avions observé des divergences au niveau des informations émises par chaque partie. Il semblait dès lors intéressant de procéder à un réajustement des discours, dans une logique de cohérence et d’optimisation de la communication.