Le digital imposé par le franchiseur au franchisé : quand la tête de réseau se prend pour Mark Zuckerberg
Digital imposé par le franchiseur ? Quand la tête de réseau se prend pour Zuckerberg, les tribunaux sifflent la fin du match. Vente en ligne, loyauté... Découvrez comment la jurisprudence protège les franchisés des dérapages 2.0 et redéfinit les règles du jeu.
, expert
Publié le 25/09/2025 , Temps de lecture: 7 min
Avant d’entrer dans le vif du sujet, posons d’emblée la conclusion : le digital, c’est comme la coriandre, tout le monde en parle, certains adorent, d’autres détestent, mais dans le monde de la franchise, c’est souvent le franchiseur qui décide d’en saupoudrer partout, quitte à ce que le franchisé s’étouffe un peu. Entre sites e-commerce lancés à la hussarde, newsletters qui pleuvent comme des giboulées et plateformes de commandes en ligne qui débarquent sans crier gare, la digitalisation imposée par la tête de réseau est devenue le feuilleton préféré des tribunaux de commerce.
Le digital dans la franchise : un mariage arrangé
Dans le monde merveilleux de la franchise, le digital, c’est un peu comme le Wi-Fi dans le train : on vous promet monts et merveilles, mais il y a toujours un bug quelque part. Le franchiseur, tel un gourou de la Silicon Valley, débarque avec son concept de site internet flambant neuf, persuadé que la vente en ligne va propulser tout le réseau dans la stratosphère. Le franchisé, lui, se demande surtout si ses clients ne vont pas finir par commander leurs sushis ou autres compléments alimentaires en ligne, sans jamais mettre les pieds dans sa boutique.
Mais attention, la loi veille au grain. Selon l’Article L330-3 du Code de commerce, plus connu sous le nom de Loi Doubin, le franchiseur doit jouer cartes sur table et annoncer la couleur sur tous les aspects du concept, digital compris, avant de faire signer le contrat. Pas question de sortir un site e-commerce du chapeau en cours de route sans prévenir personne.
Quand le digital dérape
La jurisprudence a eu l’occasion de se pencher sur le sujet, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas toujours été tendre avec les franchiseurs un peu trop pressés de digitaliser à tout-va.
Prenons l’exemple de la saga Naturhouse, où le franchiseur, tel un chef d’orchestre numérique, a décidé de lancer la vente en ligne de ses produits, pensant sans doute que le web allait sauver le monde (et son chiffre d’affaires). La cour d’appel de Toulouse, dans une série de décisions dignes d’une série Netflix, a rappelé que l’on ne pouvait pas imposer la vente en ligne aux franchisés en application du contrat.
La cour juge : “Il est donc inopérant d’affirmer comme le fait Naturhouse que cette interdiction ne s’applique qu’au franchisé au motif que la mention de l’interdiction est répétée par le seul article 6 relatif aux obligations du franchisé, et non par l’article 5 relatif aux obligations du franchiseur, dans la mesure où les stipulations de l’article 2 se suffisent à elles-mêmes pour interdire tant au franchisé qu’au franchiseur de vendre des produits sur internet.”
Bref, pas de passe-droit pour la tête de réseau, même si elle a un compte Instagram certifié.
Le franchiseur, pris d’une envie soudaine de vendre en ligne, avait en outre oublié de prévenir ses franchisés, qui découvrent un beau matin que leurs clients commandent désormais sur le site national. Résultat : procès, franchiseur qui se retrouve à expliquer devant le juge que c’était « pour le bien du réseau ». Mais cela ne convainc pas les juges qui prononcent l’interdiction immédiate de vendre en ligne.
Les juges rappellent que le franchiseur doit certes non seulement transmettre un savoir-faire, mais aussi l’actualiser, l’adapter, et surtout, rester loyal envers ses franchisés. Mais attention, la loyauté, ce n’est pas la surprise-party digitale sans invitation.
Franchiseur digital : entre innovation et manquement contractuel
Mais alors, le digital, c’est forcément le mal ? Pas du tout ! La jurisprudence reconnaît que le franchiseur a le droit, et même le devoir, d’adapter son concept et son savoir-faire aux évolutions du marché. Mais attention, il ne peut pas pour autant piétiner les droits de ses franchisés.
Moralité : le digital, oui, mais pas au détriment de la loyauté et du respect du contrat. Sinon, c’est la porte ouverte à la résiliation aux torts exclusifs du franchiseur, et là, ce n’est plus du tout fun.
Le digital, c’est aussi une question de transparence (et de gros sous)
Le digital, ce n’est pas seulement une question de site internet ou de commandes en ligne. C’est aussi, et surtout, une question de gros sous. Qui paie quoi ? Qui encaisse quoi ? Qui gère les données clients ? Autant de questions qui peuvent transformer une réunion de réseau, en remake de Dallas.
La jurisprudence a eu l’occasion de rappeler que le franchiseur ne peut pas faire n’importe quoi avec les participations publicitaires ou les frais liés au digital.
Ainsi, dans l’affaire Planet Sushi, le tribunal de commerce de Paris a souligné que “Le Franchiseur a mis en place un système de financement mutualisé des actions publicitaires des franchisés du réseau PLANET SUSHI destiné à promouvoir l’image et la notoriété du réseau et de l’enseigne PLANET SUSHI par tout moyen à sa convenance dont il assure la gestion et la coordination au plan national. […] Dans un souci de transparence, le Franchiseur s’engage à répondre à toute demande raisonnable d’informations complémentaires, à fournir toutes justifications sur l’emploi des participations financières que le Franchisé pourrait demander.”
En clair, le digital, c’est bien, mais il faut que tout le monde sache où va l’argent, et que le franchiseur ne se transforme pas en illusionniste des comptes publicitaires.
Le digital, ce n’est pas (toujours) un lien de subordination
Certains franchisés, un peu lassés de recevoir des mails à 3h du matin pour leur rappeler de poster sur Facebook, finissent par se demander s’ils ne sont pas devenus salariés sans le savoir.
Rassurez-vous, la cour d’appel de Limoges répond à la question par la négative : “Ces procédures de contrôle, qui ont pour objectif de contrôler la fidélité au modèle défini par la tête de réseau, ne porte pas atteinte à l’indépendance du franchisé qui bénéficie de l’image de la franchise et se doit d’en respecter les termes et conditions.”
Ouf, le franchisé reste un entrepreneur indépendant, même s’il doit poster des stories sur Instagram avec le bon hashtag.
Franchiseur digital : le devoir d’assistance, pas d’invasion
Le digital, c’est aussi un outil d’assistance. Mais attention à ne pas confondre assistance et intrusion.
La jurisprudence rappelle que le franchiseur doit transmettre un savoir-faire substantiel, lequel comprend des outils digitaux : ces derniers ne doivent cependant pas permettre une intrusion du franchiseur dans l’entreprise du Franchisé, comme une captation de son fichier clientèle.
Mais surtout, le digital est un outil, pas une baguette magique, et le franchiseur n’est pas le Père Noël du chiffre d’affaires : il n’est pas garant du chiffre d’affaires du franchisé.
Conclusion
En résumé, le digital dans la franchise, c’est comme la mayonnaise : ça peut tout sublimer, mais si on en met trop ou n’importe comment, ça finit par tourner. Le franchiseur a le droit (et le devoir) d’innover, d’adapter son concept, de proposer des outils numériques, mais il doit respecter le contrat, informer ses franchisés, et surtout, ne pas leur imposer des changements qui bouleversent l’équilibre du réseau sans leur accord.
Le franchisé, lui, reste un entrepreneur indépendant, pas un simple exécutant du plan digital du franchiseur. Et si le digital devient source de conflit, c’est le juge qui tranche, souvent en rappelant que le contrat, c’est sacré, et que la loyauté, ce n’est pas une option.
Alors, franchiseurs, avant de lancer la prochaine appli mobile ou le site e-commerce du siècle, un conseil : relisez votre contrat, appelez vos franchisés, et surtout, gardez le sens de l’humour. Parce qu’en matière de digital, mieux vaut rire que pleurer.
Sources :
- Cour d’appel de Limoges, Chambre sociale, 3 février 2020, n° 18/01198.
- Cour d’appel de Dijon, 2e chambre civile, 22 mai 2025, n° 22/00599.
- Tribunal de commerce / TAE d’Albi, 8 décembre 2021, n° 2021000892.
- Cour d’appel de Toulouse, 2e chambre, 5 avril 2023, n° 22/00115.
- Cour d’appel de Toulouse, 2e chambre, 5 avril 2023, n° 22/00143.
- Cour d’appel de Toulouse, 2e chambre, 5 avril 2023, n° 22/00033.
- Tribunal de commerce / TAE de Paris, 12 octobre 2021, n° J2020000353
- Cour d’appel de Paris 15 septembre 2025 22/12787
- Article L330-3 du Code de commerce.


