L’art de manager un réseau de franchise : entretien avec Sylvain Bartolomeu

Et si la vraie performance d'un réseau de franchise ne se mesurait pas au nombre de ses ouvertures ?

Benjamin Thomas, writer

Publié le 09/09/2025 , Mis à jour le 10/09/2025, Temps de lecture: 9 min

L’art de manager un réseau de franchise : entretien avec Sylvain Bartolomeu

Et si la vraie performance d’un réseau de franchise ne se mesurait pas au nombre de ses ouvertures ? C’est le postulat de Sylvain Bartolomeu, figure reconnue du secteur, qui publie un ouvrage dédié à l’art du management de réseau. Il nous explique pourquoi l’avenir appartient aux franchiseurs qui penseront “collectif” avant “développement”. De la gestion des ambitions de chacun à la transformation du rôle de l’animateur, il livre les clés pour bâtir un réseau pérenne et soudé.

Ça fait plus de 20 ans que tu accompagnes des réseaux de franchise. Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ce livre maintenant ?

Sylvain Bartolomeu : Je pense que c’était le bon moment de le faire. Déjà, parce que je suis confronté aux difficultés et à la complexité du management de réseaux depuis des années et j’avais envie de formaliser cette expérience.

Mais aussi parce que je me suis rendu compte qu’il n’existait pas d’ouvrage abordant spécifiquement cette dimension managériale. Je pense qu’il était vraiment temps de le faire.

Tu évoques le management de réseau comme un art. À travers ce titre, que veux-tu nous dire sur la nature profonde du management de réseau ?

Sylvain Bartolomeu : Que le management de réseau n’est pas une science exacte. Quand tu apprends un art, ou un métier artisanal, il y a une base technique à acquérir. Il y a aussi un aspect de mentorat, de compagnonnage et de partage d’expérience qui te permet d’affiner ta pratique. Ensuite, il y a tes propres convictions et ta propre vision que tu appliques en t’appuyant sur ces acquis.

Finalement, c’est la somme de ces expériences qui fait que tu deviens un bon manager de réseau. Et c’est dans cet esprit que j’ai voulu écrire le livre, en illustrant chaque concept par des situations réelles.

Tu parles d’asymétrie de profil entre le franchiseur et le franchisé. Qu’est-ce que cela signifie ?

Sylvain Bartolomeu : Il faut avoir conscience que si le franchiseur et le franchisé sont tous deux des patrons, ce ne sont pas les mêmes patrons. Le franchiseur est souvent parti de zéro, avec une mentalité très ambitieuse et l’envie d’aller toujours plus haut et toujours plus loin. Le franchisé, lui, n’a pas forcément les mêmes ambitions, ni les mêmes attentes.

J’entends souvent des franchiseurs s’émouvoir qu’un franchisé fasse seulement 50 sur un secteur où il pourrait faire 100. Mais si son projet de vie est d’atteindre 50, c’est très bien et il faut accepter ça. Il faut prendre conscience que chaque franchisé a ses propres objectifs, et surtout, intégrer cette dimension dans le management du réseau.

Cette asymétrie de profil peut aussi être source de difficultés quand le franchiseur veut faire évoluer son concept. Il peut vouloir tout chambouler sans tenir compte de la capacité d’adaptation du réseau. J’ai en tête l’exemple d’un réseau que je connais bien et qui a récemment opéré des changements dans la marque et le savoir-faire. Les franchisés sont complètement perdus parce qu’ils ne comprennent pas la vision, ni la stratégie du franchiseur.

C’est pourquoi il est fondamental d’intégrer cette différence de profil entre l’entrepreneur franchiseur et l’entrepreneur franchisé. Et pour le dirigeant, savoir s’entourer d’une équipe capable de le challenger, mais aussi de le réfréner, de filtrer et de temporiser ses impulsions.

Pour un jeune franchiseur, quels sont les premiers signes qui montrent qu’il est temps de recruter une tête de réseau et de professionnaliser son management ?

Sylvain Bartolomeu : La délégation de l’opérationnel arrive assez vite et se passe généralement bien. La transition devient plus complexe lorsque le réseau atteint une cinquantaine d’unités. Ce stade des 50 unités est souvent un plafond de verre. Ce n’est pas un hasard si c’est la taille moyenne des réseaux.

Au-delà, les franchiseurs doivent s’entourer d’un comité de direction pour complète leurs propres lacunes et donc commencer à déléguer des sujets stratégiques. C’est à ce moment-là que le fondateur peut perdre un peu la maîtrise de son réseau et le lien avec le terrain. C’est donc un gap stratégique très important et c’est généralement là que les réseaux patinent un peu.

Certains font par exemple des levées de fonds alors qu’ils ne devraient pas, diluent la gouvernance et font rentrer des personnes qui ne sont pas forcément bien dimensionnées.

Tu affirmes que le plus difficile n’est pas de lancer un réseau, mais de le faire durer. Pourquoi cet accent sur la pérennité, à une époque obsédée par la croissance ?

Sylvain Bartolomeu : Les franchiseurs, étant avant tout des entrepreneurs, se laissent parfois aspirer par le désir de développement. Quand j’interviens dans des comités stratégiques, on me présente souvent des plans de croissance à base d’ambitieux objectifs d’expansion.

Pourtant, les réseaux avec lesquels j’ai passé les plus beaux moments sont ceux où il existe une communauté, une interdépendance très forte, où les gens ont l’impression de faire partie de la même aventure, de porter le même maillot. Je pense que c’est un vrai sujet dans la franchise. Est-ce que le développement à tout-va est l’avenir ? Pour moi, l’avenir de la franchise réside clairement dans la création de communautés très solides.

Comment faire pour créer du lien et de l’adhésion au sein du réseau ?

Sylvain Bartolomeu : C’est tout le défi du management de réseau. Quand tu pratiques un sport collectif, tu retrouves ton équipe plusieurs fois par semaine sur le même terrain et dans les vestiaires. Il y a des liens et un sentiment d’appartenance forts qui se créent.

Dans la franchise, les franchisés portent le même maillot, mais ne se voient que quelques jours par an. C’est le rôle de l’animation de réseau de permettre de créer ce lien d’appartenance malgré l’effet distanciel inhérent au modèle de la franchise.

Comment structurer ce poste d’animateur pour qu’il soit un levier de cohésion ?

Sylvain Bartolomeu : D’abord, il faut prendre conscience de son importance. Malheureusement, l’animation est souvent considérée comme le parent pauvre des réseaux. Quand un développeur signe un contrat, il arrive avec le champagne, tandis que l’animateur est fréquemment celui qui amène des nouvelles moins agréables. Ces missions font aussi qu’il n’est pas souvent au siège, ce qui peut donner le sentiment, évidemment faux, qu’il ne fait pas grand-chose. Pendant le covid, j’ai vu des réseaux dont la première décision a été de mettre au chômage technique les animateurs. C’est complètement dingue. Ils devraient être les derniers à quitter le bateau.

La première chose à faire est donc de valoriser cette fonction. L’animation de réseau ne doit pas être considérée comme un centre de coûts, mais comme un centre de profits. Ce sont les animateurs qui créent la cohésion, facilitent le quotidien des franchisés et leur relation avec le siège. Ce sont des créateurs d’efficacité et d’homogénéité au sein du réseau.

L’animation de réseau doit ainsi permettre de décupler la performance des franchisés, de limiter les problématiques et de faciliter la conduite du changement. Pour cela, il faut changer de paradigme : les animateurs ne doivent plus seulement contrôler l’application du savoir-faire, comme ça a longtemps été le cas, ils doivent être des coachs de chefs d’entreprise. C’est ça leur métier.

Dans ton livre, tu abordes aussi la gestion des conflits. Un réseau sans conflit, est-ce un bon signe ?

Sylvain Bartolomeu : Les conflits sont nécessaires et importants, car ils témoignent d’une relation dans laquelle les parties se parlent. Dans certains réseaux, tout semble aller bien en façade, mais derrière, il y a des tensions qui cachent non pas des conflits en préparation, mais des contentieux. D’une certaine manière, en libérant la parole, les conflits permettent d’éviter les contentieux et peuvent même renforcer les liens au sein du réseau.

Ce que j’ai voulu faire dans ce livre, c’est catégoriser les différentes typologies de conflits pour que, quand un franchiseur ou un animateur de réseau se retrouve dans une situation de conflit, il soit capable d’en comprendre l’origine, et surtout, d’apporter la réponse appropriée.

Si tu devais donner un seul conseil à un entrepreneur qui s’apprête à devenir franchiseur, quel serait-il ?

Sylvain Bartolomeu : Prendre le projet sous l’angle du management plutôt que du développement. Se poser la question : quel collectif je souhaite construire ? Cela impacte le contrat que tu vas établir, l’accompagnement que tu vas mettre en œuvre et la promesse que tu fais aux candidats à la franchise. Parce qu’au-delà du concept, devenir franchisé, c’est rechercher à faire partie d’un collectif.

Comment un franchiseur peut-il mettre en avant la qualité de son management dans sa communication auprès des candidats à la franchise ?

Sylvain Bartolomeu : Il doit expliquer concrètement ce qu’il fait ou ce qu’il compte faire. Je suis effaré de voir des contrats de franchise où il est uniquement écrit que le franchiseur visitera, s’il le juge nécessaire, le point de vente du franchisé une fois par an. Si cela est considéré comme de l’accompagnement, alors je pense qu’il faut que je change de métier.

Il faut rentrer dans le vif du sujet : Quel collectif je veux créer ? Quelle aventure collective je propose ? Quels sont les temps d’échange prévus ? Les mécanismes ? Dans mon livre, je cite des réseaux qui mettent en œuvre des méthodes d’accompagnement vraiment intéressantes et radicalement différentes de ce que font les autres réseaux. En tant que candidat à la franchise, ce sont ces réseaux-là que je rejoindrais plutôt qu’un autre. Parce que l’accompagnement est différent. C’est ça qu’il faut mettre en avant auprès des candidats.

En projetant ta vision à 10 ans, à quoi ressemblera le franchiseur qui aura réussi ? Est-ce que ce sera un expert en données, un psychologue, un diplomate, un gourou de la tech ?

Sylvain Bartolomeu : La dimension humaine restera primordiale. Dans la franchise, 80% des problèmes et des solutions proviennent des interactions humaines. La technologie, notamment l’intelligence artificielle, peut effectivement simplifier certaines tâches et apporter des accélérations évidemment non négligeables, mais le cœur d’un réseau reposera toujours sur les relations humaines.

Donc, je pense que la vraie réponse réside dans l’intelligence collective : se mettre autour d’une table, savoir échanger en transparence, revisiter les équilibres d’une relation de franchise en cours de route parce que, dans un contexte qui change en permanence, c’est important.

Pour conclure, que souhaites-tu que les lecteurs retiennent de ton livre ?

Sylvain Bartolomeu : J’aimerais qu’il les challenge et les aide à devenir de meilleurs managers de réseau. Je pense que s’il y a une notion importante à retenir, c’est cette notion d’équilibre dans la relation, d’équité. Cette logique d’équité est importante au sein d’un réseau. C’est ma conviction. Si ce livre peut contribuer à instaurer des systèmes avec une meilleure cohésion et un meilleur équilibre dans la relation, alors cela me plaira.


Retrouvez l'intégralité de cette vision managériale dans son ouvrage « L'art de manager un réseau de franchise : Stratégies et secrets de réussite », à paraître le 18 septembre 2025 aux éditions Puits Fleuri.

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